Bref !

©Nicolas Guéguen
©Nicolas Guéguen

Un roman poème ne promet pas forcément d’être chiant ou illisible. S’il sait se positionner à la bonne hauteur, il touchera au but, donnera des nouvelles du passé, des interprétations à vous faire apprécier le présent. En évoquant son propre cas, leur auteur vous mettra dans sa poche. Bon début ! Suite à l’avenant, plus les surprises parties de rien et finissant, tel un golem, par acquérir une inquiétante autonomie. Du point de vue de l’esthète, cela n’en sera pas moins une bénédiction, même si schizophrénie, même si raclage de murs, terribles fuites éthyliques, hôpitaux et finalement cercueil anticipé.

 

Mais jusqu’ici rien de tout cela, à peine l’amorce d’une crainte plus une plainte pour tapage nocturne. A ce propos, saviez-vous que par ici la police faisait malheureusement parfaitement son boulot ? Je dis « malheureusement » pour que l’on compatisse. En vérité, j’aime ces attentions qui, un instant, me donnent l’impression de posséder une existence autre qu’immatérielle. Car, je veux bien être l’être intouchable qui pirouette pour s’en tirer lorsque les comptes se font pressants, je veux et j’adore, mais je sais aussi qu’à force d’étirer mes capacités, d’invoquer l’inconcevable et de m’éclipser au premier assaut humain, je risque (merveilleuse infortune !) d’en être réduit à l’une de ces immortelles figures mythiques ! Alors, sans me soucier des sommations d’usage, à coups de hache je m’attaque à la suite. D’abord, histoire de leur réapprendre les bases sémantiques et ludiques, j’envoie les mots au jardin d’enfant. Fins prêts, ils reviennent aussitôt à moi, jouent les enjôleurs, se mélangent dans des unions spontanées et néanmoins stratégiques. Pas à tortiller. Je ne tortille pas. Pas à non plus à se la jouer facile. Mais je m’efforce d’en chier quand même un peu en réprimant de terribles envies de bâiller aux étoiles. Pour quel résultat ? Un ailleurs sans précédent. Nouveau né aussitôt élevé à l’immortalité. Un fils naturel pour mes jours puissants et tremblants. C’est un espace vierge, une composition marécageuse, auguste et solitaire. Bien qu’étant le père de ces lieux neufs je suis loin d’en être le maître. Et l’expérience me porte à croire que la situation n’ira pas en s’arrangeant. A peine les ai-je sortis de leur néant que m’échappe leur sens. Que me reste t-il alors ? Quel bénéfice ? Quel plaisir ? Quelle solution ? Les réponses n’existent pas. Toute arrivée est une impasse, voire un néant. Seule la quête contient. La vie résumée en une équation. Son essence circonscrite au moment de son impossible résolution. Voilà pourquoi le mystère de la beauté de mes paysages intérieurs m’apparaît comme une bénédiction. Mon but est d’aller vers eux, me perdre au milieu de leur milieu mi-familier mi-étranger, père rejeté tentant de saisir l’enfance de son propre art. Pour cela, il me faut me débarrasser de tout ce qui pourrait ressembler à une idée. Me balader à poil, sans arrière-pensée, naturellement. Aux mots, donner un pouvoir dionysiaque, déraisonnable, amoral. Ne plus craindre le ridicule, laisser ça aux animaux politiques. Ainsi, je me propose de ne plus rien proposer ! La vérité de chacun réside dans ses actions mentales et c’est pourquoi j’ai décidé de me contenter de m’envoler vers des contrées dont la seule évocation suffit à susciter désir et puissance. Comme je l’ai déjà dit, les espaces semblent de prime abord être vierges. Pourtant, les regards que j’y porte finissent toujours par les emplir de millions de détails leur donnant une apparence de vie. C’est ainsi qu’en les dessinant je parviens à réveiller un moi parfaitement libéré de toute notion de calcul. Seul intérêt : celui de l’expression gratuite. En filigrane, le tracé de mes propres contours, autrement dit une filiation d’apparence improbable, incompréhensible, qu’une lecture ad hoc saura rendre aussi touchante qu’un singulier et significatif atavisme. C’est de cette façon, à travers une création semblant assez autonome pour que je la perçoive comme étrangère à ma volonté, que je parviens à apprécier et même parfois (glorieux jours !) à jouir de mes propres galimatias cérébraux, orgies des formes et des sons, des sens, des non-sens, orgies sans vergogne des visions muées en illuminations. Saviez-vous, par exemple, qu’il m’arrive, sans pour cela faire d’autre effort que celui de tuer paisiblement l’effort lui-même, d’entendre une voix me dicter des poésies non répertoriées. Je ne parle pas du son guttural des mânes ni de celui d’un télépathique conseiller doué du sens de la formule. Il ne s’agit que d’un travail que je ne suis pas conscient d’avoir effectué et dont le fruit m’apparaît trop beau et trop singulier pour que je mérite de m’en attribuer la paternité. Néanmoins, bien que me sachant n’être que le maillon d’une chaîne, j’ai appris à aimer me prendre pour cette fiction à laquelle certains philosophes donnent le qualificatif d’être humain (notion impliquant notamment l’idée de personnalité et de libre arbitre). Ce genre de fantaisie dont je me sens coupable en mes lucides jours, m’a poussé quelques lignes plus tôt à évoquer un « ailleurs sans précédent ». La formule n’est ni exacte ni tout à fait inepte, mais je pense qu’elle a en premier lieu le mérite d’éveiller un certain intérêt. J’irai beaucoup plus loin en affirmant péremptoirement (je me le dois si je veux commencer par me convaincre moi-même !) qu’elle possède la capacité à faire apparaître chez autrui des images réellement originales et n’ayant probablement aucune espèce de rapport avec celles qu’abrite ma crânienne boîte. Vos « ailleurs sans précédent », si vous les plantez sur les cultivables terres de votre esprit entraîné à se laisser entraîner, auront sûrement le don de m’étonner… peut-être même, mais l’hypothèse est beaucoup plus improbable, celui de me faire décoller à des altitudes inconnues… Bref !

 

                                    © AG